
Ce mot gallo a suivi une voie parallèle au français
coeur. Il en a le même sens, celui de l’organe vital avec les acceptions figurées qui l’accompagnent (celles de vigueur ou de bienveillance, mais aussi de centre).
Cependant, les divergences apparaissent dans les expressions qu’il développe ainsi que dans sa dérivation.
Entamons donc notre périple autour de ce mot par les expressions propres au gallo.
Voyons d’abord celles qui relèvent du sentiment.
Étr de qheur, c’est
être accueillant, reconnaissant. Vous rendrez service de
bon qheur e d’amitae (
de bon coeur, de bon gré) à une personne.
La larjesse de qheur représente
la magnanimité. À cette positivité, répondent certains aspects négatifs. On peut vous demander de faire quelque chose
contr votr qheur (
à contrecoeur).
Selon la maxime,
qheur ne vait, qheur n’a deul (
loin des yeux, loin du coeur). Pourtant, un événement, une situation peuvent
porter ao qheur (
émouvoir). Ce n’est pas la même chose si
vouz portez a qheur (
vous êtes susceptible) car alors vous allez
tenir en qheur (
être rancunier,
garder rancune).
Serrer le qheur ou
étreindr le qheur tient de
la manifestation de l’angoisse. Un
thriller (livre ou film) devient donc un
étreigne-qheur. Remettez-vous, vous trouverez bien un remède qui va
doner ao qheur ou
doner du qheur (
remettre d’aplomb).
À ce sujet, il faut remarquer la confusion entre le
coeur et l’
estomac en gallo (c’était déjà le cas chez les Grecs).
Un aliment peut vous
rester sus le qheur (
rester sur l’estomac).
On cotit du qheur (
on a la nausée,
on a des haut-le coeur). On dit aussi que
ça tire du qheur (même sens). Cette
nausée s’entend donc comme un
cotissement du qheur,
un durilhon de qheur. De l’affaire, prenez le nécessaire pour vous
décracer le qheur (
purger l’estomac). Vous retrouverez ainsi
bon qheur (
bon appétit en plus du sens de la bonté).
Même si c’est exprimé de façon ironique, s’il arrive que
votr qheur chaet den le fond de voz hanes (
tombe dans le fond du pantalon), c’est d’
une crise cardiaque qu’il s’agit ni plus ni moins.
En avair ûne qheursey, c’est
avoir un gros chagrin. On reprend ici l’expression française «
en avoir gros sur le coeur » avec un « s » qui a pu être placé en appui pour éviter la confusion avec un terme phonétiquement proche.
Nous en venons ainsi à la dérivation issue de
qheur.
Le plus connu est
qheuru, construit sur le modèle du français
têtu, et qui étymologiquement signifie :
dont le coeur est fort. Son sens se précise par
vigoureux,
costaud,
vorace. Une personne
qheurue mange de bon appétit. D’ailleurs, on est plus
qheuru (
friand) sur certains mets que d’autres, selon nos goûts. Un mets ou une boisson peuvent aussi être
qheuru (
consistant,
généreux ;
le cidr-la ét qheuru). Un repas
qheuru est
substantiel. Un grain
qheuru est un grain
nourri. Une terre qui
a du qheur est une terre
grasse, on peut donc dire qu’elle est
qheurue. On le voit, l’emploi de ce dérivé est bien établi et on entend même l’adverbe
qheurument (
ça va qheurument,
ça va très bien ; santé).
L’autre dérivé régulier relève au contraire de la défaillance.
Reprenant le français
haut-le-coeur, le gallo
haot-qheur (sans article intermédiaire) se prolonge dans le verbe
haot-qheurer (
avoir des haut-le-coeur, la nausée). Des variantes apparaissent comme
aqheurer (
écoeurer) ou
raqheurer (idem). De même, une chose dégoûtante nous
enqheure. À l’opposé,
se reqheurer donne un sens plus positif puisqu’il s’agit de
se requinquer.
Vous n’en êtes pas là si vous avez le
qheuraçon (
la gueule de bois).
Autre dérivation, le verbe
baqheurer (
haleter).
Quand vous manquez de tonus, de vigueur, c’est peut-être parce que
la leve du qheur ét chaite. Certaines guérisseuses autrefois avaient le don de
relever la levr (ou leche) du qheur.
Des noms composés spécifiques apparaîssent à partir de
qheur comme
qheur-de-chou (
brocoli),
qheur-de-beu (qui est
une variété de pomme à couteau). On connaît aussi comme plante le
parqheur (l’
androsème) sans qu’on puisse établir un rapport net avec le qheur.
Couraije est parallèle au français
courage. Les adjectifs
couraijouz et
couraijif sont en concurrence pour représenter le français
courageux. On entend aussi
acouraijer pour
encourager.
Cependant, le latin
cor, décliné en
coris en latin populaire, a engendré une dérivation plus spécifique en gallo.
Désignant les entrailles, les viscères, la
corey (ou
courey) était souvent évoquée surtout lors de la transformation du cochon. Ce terme regroupe le poumon, le foie, la rate, disons la
fressure. Mais d’autres dérivations ont également fleuri en gallo à partir de cette source.
On retrouve ainsi
bacorer ou
bacourer (
avoir le coeur battant,
être essouflé), d’où le déverbal
bacore (m.,
essouflement) et l’expression
étr ao bacoraod (
avoir le coeur battant). De même sens, on retrouve aussi
étr ébacorae. Le coeur et l’estomac se confondant (comme on l’a vu plus haut), on ne s’étonnera pas que
acourer traduise
vômir,
avoir des nausées.
Avant d’en arriver là, vous aurez tout le loisir de vous corer ou vous recorer (manger abondamment, se repaître). Bien entendu, vous êtes
corae quand vous êtes
repu.
Recorser (
rassasier) en est une variante, peut-être sous l’influence de
corp, d’où une
corsey pour une
ventrée.
Tous ces termes sont de toute évidence plus anciens que les dérivés de
qheur expliqués plus haut.
Cardiaque, emprunté au grec par le français au XIV° siècle, n’est par contre pas retenu en gallo. On se satisfait du complément de nom pour le traduire.
Ûne ataqe de qheur est
une crise cardiaque.
Je terminerai avec les formules de politesse en vous remerciant
du fond du qheur (
cordialement) de m’avoir lu. Autre formule :
du fond du qheur od vouz (
cordialement vôtre,
sincèrement vôtre).