ACADEMIY DU GALO

Académie du Gallo


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Les Dossiers linguistiques de l'Académie du Gallo

La Pepineray : "Vizer"


VIZER


Visere en latin était un intensif de videre (voir). Cette propriété s'est prolongée dans le gallo vizer à peu près à l'identique du français, avec cependant quelques nuances.

L'idée de but à atteindre a certainement valu mais le sens en a été altéré et ne s'est plus attaché qu'à l'action de lancer, jeter, sans que ce but soit bien précis, comme le montre cet exemple : vizer travers la fighure.
    L'expression vizer a vair, au-delà de son aspect apparemment redondant, marque plus le hasard dans le regard jeté, d'où le sens d'apercevoir, entrevoir (j'ae vizae a le vair a la faire).

Vizer ûne beyte dans une foire consistait, après accord sur le prix, à la faire marcher ou trotter devant l'acheteur pour vérifier si elle ne présentait pas un défaut, auquel cas la vente était annulée (ûne fais la beyte achetey, ça taet pas tout, falhaet laz vizer). On appelait ça aussi pousser a la vize. La vize, en somme, c'est l'inspection. Et vizer, dans ce contexte, revient à vérifier, examiner, inspecter visuellement. Un vizouz, c‘est donc un inspecteur si bien qu'on peut octroyer le titre de vizouz de cllasses à un inspecteur pédagogique, ou même de vizouz de chârtes à l'agent du contrôle technique pour nos voitures quand ils doivent en effectuer la vizite (contrôle technique).

Revenons vers le sens premier pour mentionner que vize en face, c'est dans le mille pour une cible (pan, pan, teurjous vize en face).
    Plus généralement c'est exactement en face de soi, comme le précise l'expression par devant votr vize-en-face (il va venir par devant votr vize-en-face e le manqez pas).

Vize peut se réduire simplement à viz dans la locution prépositive a-viz (en face, l'ôtae a-viz l'egllize).
    Ceci nous ramène à l'expression viz-a-viz qu'on va retenir ici surtout comme locution substantive. Disons qu'il s'attache à désigner la personne en elle-même dans tout son aspect présentiel (j'aviom par devant notr viz-a-viz chaqhun treiz verres, deuz fourchettes ; chaqe fais q'al passaet prés de mon viz-a-viz, en araet dit q'al voulaet me viterioler).
    Le terme s'attribue l'idée de ce qui est en face (y en a treiz viz-a-viz yûne de l'aotr), d'où aussi le sens d'égard (j'ae teurjous étae ûne bone servante a votr viz-a-viz).
    En conservant ce sens, cette locution va former une nouvelle locution prépositive traduisant à l'égard de (il sont tenant de memme ao viz-a-viz dez hors-venus). Celle-ci peut aussi être locution adverbiale (ao viz-a-viz, par comparaison).
    Pour les quadrilles, spécifiques à la Haute-Bretagne, faere viz-a-viz, c'est se placer vis-a-vis du cavalier ou de la cavalière qu'on va prendre au moment de l'échange.

Vizite est come en français un dérivé courant. Le vizitouz (visiteur) va sans problème vous faere vizite (rendre visite). Mais viziter a aussi une autre acception. On peut l'entendre au sens de voir pour vérifier (mon chien ét bllanc, on peut le viziter). Mais c'est aussi voir dans le sens de assister aux représentations de (j'avom étae viziter un grand cirqe dempeis neuf oures jusq'a meyneit).
    C'est aussi examiner, étudier (le fromacien, aprés avair vizitae lez champignons, en regardant sus un gros paroêssien, me dit : ...). On peut comprendre le substantif dérivé au sens de compulsation (aprés vizitement d'un gros armenac, il me dit ...).

En gallo, révizion garde le même sens qu'en français. Seulement, on parle plutôt d'envyer a révizer (un véhicule) que de l'envoyer en révision, cette révision qui s'entend d'ailleurs comme un révizement.

Quelques autres dérivés ont développé leur propre champ sémantique que le français ne reconnaît pas toujours.
    Vous arrivez a la vizey (à l'improviste) si vous n'avez pas envizae (envisagé) de prévenir votre interlocuteur. Mais bien sûr vous pouvez vous ravizer. Vous n'aurez pas forcément à vous justifier de cette ravizey (changement d'avis, dédit). On parle quand même plus souvent d'un raviz lorsqu'il s'agit d'un caprice, d'une lubie. C'est ainsi qu'une personne capricieuse, fantasque est a raviz.

Le préfixe a- intervient également et forme avizion avec un sens assez large de vision (représentation mentale), ou d'illusion, hallucination (j'avom z-eù ûne avizion ad sair den le fourniù) et même d'intersigne annonciateur d'un événement dramatique.

Dans un autre domaine, les enfants jouaient aussi à la vize ou à la viste (cache-cache), jeu dans lequel celui qui est découvert est dévistae.

Si une anomalie, par exemple, ne vous saute pas aux yeux, c'est sans doute parce que ça paraet pas vizibllement (ça se voit à peine, ce n'est pas très apparent). Mais curieusement, vizibller apparaît au sens de disparaître, se rendre invisible. Cette antonymie n'est pas un cas unique (cf l'expression populaire c'est du joli pour dire le contraire, ou encore dérizoêre reprenant le français exorbitant).

Aviz est également bien attesté, peut-être même plus qu'en français en raison de son emploi dans des expressions courantes qui lui confèrent un sens plus large. Le bon aviz vaut pour exprimer non pas l'avis dominant, mais la sagesse. Avair de l'aviz, c'est avoir du bon sens, de la prudence, mais c'est aussi parfois avoir de la répartie. Au contraire, ne pas avair d'aviz, c'est être malavisé, irréfléchi, ce qui se confirme en affirmant qu'on n'a d'aviz a ren (on est bête) ou qu'on a ni sience, ni aviz. N'avair ni aviz ni atenance marque le caractère peu avisé, mais également turbulent du sujet.

L'expression la plus courante reste cependant m'ét aviz qe (je crois que, j'ai dans l'idée que ; m'ét aviz qe t'as beù un bon coup, tu tercole) qui vaut aussi pour semble t-il, je pense que, à mon avis (le temp s'abassit, m'ét aviz q'il va moulher). L'expression se fleurit parfois comme dans a ma petite aviz (à mon humble avis, lez navions sont a ma petite aviz meinz danjerouz qe lez va-t'a-piets) ou a ce q'il m'ét aviz (ét tourjous pas en s'y pernant de la façon-la, a ce q'il m'ét aviz).

L'adjectif avizae prolonge cet horizon sémantique. Disons qu'être avizae, c'est être prudent, attentif, sagace, judicieux, sensé, sage. Il est souvent rehaussé de l'adverbe ben (ben avizae : avisé, clairvoyant). Yun q'ét ben avizae est aussi un homme d'expérience. Au contraire, ne pas étr avizae, c'est être irréfléchi. L'adjectif revient aussi au bébé qui commence à prêter attention à son environnement.

Ceci nous ramène au verbe avizer qui garde originellement le même sens que le français (je vaz avizer od vouz a sortir). Mais il s'écarte un peu vers le sens de avertir ou apercevoir. Il peut aussi tendre vers informer (je fus avizae qe y avaet runion). Il est surtout entendu à la forme pronominale avec le sens de s'apercevoir, se rendre compte (je m'étaes pas avizae de ren) voire réaliser ou même être impacté (je me sei mieuz avizae de la maovaeze aney de recolte pace qe j'ae dez terres a qhultiver).

De ceci, surgit avizey (idée qui est venue) et surtout avizoer (perspicacité). Avair bon avizoer, c'est être perspicace. Mine de ren, bon avizoer, dit-on de celui qui voit tout en faisant semblant de ne rien voir (cant ce fut a la mezurey, il dit ao maettr q'étaet la, mine de ren, bon avizoer : ...), ce qui rend aussi le sens de judicieusement. Celui-ci est de toute évidence, avizant (perspicace).

L'itératif ravizer reprend bien sûr les sens décrit ci-dessus. Ainsi, de se ravizer (redécouvrir, s'apercevoir, lez Françaez se ravizent q'il ont ûne baniere).

À noter que la première voyelle subit souvent une flexion, d'où éviz, évizer (j'évize mon ome ao lein-la), évizae, ... Accompagné du privatif, on découvre alors dézévizae (imprudent, irréfléchi).