ACADEMIY DU GALO

Académie du Gallo


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Les Dossiers linguistiques de l'Académie du Gallo

La Pepineray : "Vair"


VAIR


Vair puise son origine dans le latin videre.

Il le prolonge par le sens propre comme le sens figuré, comme le français voir d’ailleurs, quoiqu’en gallo, l’emploi du sens figuré est peut-être plus appuyé.

On le remarque lorque vair reprend le sens de considérer (je sei aossi ben veù come yelle).
    À la forme négative, il exprime l’idée d’absence de conviction (je ne vais pas q’ol devraet partir).
    De plus, il se substitue à d’autres sens du corps humain. On vait dire pour on entend dire (j’ae teurjous veù dire q’al entertenaet sa maezon).

Vair a, c’est aussi envisager (j’araem veù a ajheter ûne petite aotomobile), s’occuper de (j’araes mieus faet de vair a mez afaeres qe d’aler bayer ma goule par cez yeùz), se pencher sur la question (le nouviao ministère va vair a ça).

Faere vair, ce n’est pas seulement montrer, mais c’est aussi expliquer (tu saraes-ti li faere vair le travalh ?).

Vair, c’est aussi imaginer (vouz ne vayez point vouz, qe tous noz gosses araent cete sacrey maladiy).
    Den un sens futur, on peut entendre je veuz vair ça en locution interjective (j’espère bien !, sa maraene le gardera den la tirette de son armaire, je veus vair ça).

Même lorsqu’il garde son sens concret, il offre plus de consistance.

Il déborde sur le sens de regarder, chercher du regard (vais don ‘you qe tu mets lez pieds ; falaet vair lein pace qe ce n’étaet pas benaeze a terouer).

Accompagné de la préposition de, le sens de visiter, examiner, ne lui est pas étranger (il s’en alaet vair de sez ouveriers ; j’ae veù de la maezon).
    D’ailleurs, vair de cai, c’est juger par soi-même.
    Par analogie, ça peut aussi être traduit par empiéter (le pllat a veù le bal de noces, le repas a débordé sur le bal de noces).

L’emploi est plus appuyé encore dans s’entr vair qui, dans un certain contexte, vaut pour en venir aux mains, se battre, se disputer.
    Et quand quelqu’un nous importune, on est tenté de l’envayer vair (envoyer promener).
   Par contre, de manière plus intime, quand une fille ne vait pus ren, il faut comprendre par là qu’elle n’a plus ses règles.

Le verbe est repris comme substantif dans l’expression en biao vair qu’il faut comprendre comme en évidence, à la vue de tous (en biao vair, il taet q’il s’aperchaet de la banqe).

De même, il entre dans la formation de la locution prépositive a-vair au sens de par rapport à (le monde me font ben rigoler ren q’a-vair la semaene-ici).
   Mais son participe passé peut aussi construire cette locution avec le même sens (un mulet q’ét rigolo a-veù sez grandes oraelhes raides come un piqhet).
    D’ailleurs ce sens déborde souvent sur celui de selon, en proportion de (il a pas z-eù tant a –veù/a-vair lez aotrs).


Avec le préfixe itératif, les sens figurés apparaissent également.

Si ervair, c’est aussi reconsidérer, avair a ervair sus un sujet, c’est être plus ou moins concerné, plus ou moins responsable par rapport à celui-ci.
    Enfin, s’ervair revient à faire son examen de conscience (t’as z-eù le temp de t’ervair).


Cette itération est particulièrement appliquée en formules de salutations.

Le au revoir français trouve en gallo une résonnance multiforme.
    Le plus simple est bien sûr a revair ! ; mais on a aussi bien a s’entr ervair !, a t’ervair !, a vouz ervair !.

D’autres dérivés y participent comme dans a la revairiy ! (a la revairiy, mon vieuz Pelot !), a la revayance ( je li diz a la revayance en li serrant la maen).
    Ces derniers ont pour perspective un temps plus lointain. Il en est de même de la formule inspirée directement du français puisque faere sez ao-revair, c’est faire ses adieux.


On a évoqué la revairiy (le fait de se revoir). Vairiy s’entend aussi pour évoquer tout ce qui se voit.
    Le sens est donc large car ce qui se voit, ça peut être un spectacle (pourqhi qe je n’iriom point vair lez vairiys ?), mais ça peut être un panorama ou même une vision qu’on a eu.


Les autres dérivés suivent ce radical comme dans les prépositions vaici (voici), vailae (voilà, sous nos yeux), vaila (voilà, plus lointain ou figuré), réduite le plus souvent à v’la dans une conversation courante.
    On reproduit en fait dans ce spectre les trois personnes de la conjugaison.
    Enfin, vayon est un dérivé plus insolite qui désigne la pupille de l’oeil et invayabl est plutôt d’origine populaire pour traduire l’invisible.

La reprise de ce verbe dans des locutions est intéressante.

Avancer a vait-ni-goute revient à avancer à tâtons, à l’aveuglette, si bien qu’un vait-goute (ou vait-z-y-goute) évoque un malvoyant.
    Au contraire, le vait-net-lein (on revient ici à l’emploi figuré) est plutôt un visionnaire.

Une autre branche de dérivations apparaît depuis le participe passé veù.

Entrevu en première partie, nous allons le développer ici.

Ce participe rentre dans des expressions qui élargissent son usage. Il est rapidement substantivé comme son équivalent français vue.
    Rentrer de veùe de journ, c’est rentrer avant la tombée de la nuit (faora qe je som qhite de veùe de journ).

On peut signaler quelques emplois particuliers comme a veùe de payz (à vue de nez).
    De même, une fenêtre a veùe (fenêtre pour éclairer) s’oppose à une fenêtre a orbe (renfoncement dans le mur ayant l’aspect d’une fenêtre, mais sans ouverture sur l’extérieur).
    Étr en veùe, c’est être visible (cf français bien en vue).
    De même, la locution conjonctive veù qe, au même sens que attendu que, étant donné que, est sans doute plus attestée que son équivalent en français.

L’emploi de l’itératif est parallèle au français, quoique plus appuyé sans doute.
    On peut se dire a la reveùe (au revoir) si on pense justement étr de reveùe (se revoir ; ici, on omet généralement l’article défini).
Cette expression se rencontre lorsqu’on est redevable à quelqu’un et qu’on prévoit cette nouvelle rencontre.
     Ce qui, dans un autre contexte et avec l’article défini, n’a pas le même sens, car étr de la reveùe, c’est être perdant, être trompé, subir un échec, se faire avoir).

Par analogie avec les suffixes en –eùre, on retrouve souvent veùre qui est une forme de coalescence.
    C’est particulièrement vrai lorsqu’il s’agit du substantif ayant trait à la vue de manière générale et moins dans les expressions particulières citées plus haut.
    Cependant l’usage de l’un ou de l’autre est assez mouvant et on a aussi bien en veù de que en veùre de (en vue de), de même que étr de la reveùre.

Le service militaire obligatoire a sans doute popularisé le substantif reveùe puisqu’on le retrouve au sens de défilé (j’ae étae vair la reveùe du 14 julhet).
    C’est cet usage qui a dû introduire le sens de visite médicale (el n’n avaet marre d’aler come ça passer la reveùe).

Le gallo offre un développement particulier autour du préfixe privatif é-.

Éveùrer revient donc à aveugler. Ceci ne s’arrête pas au sens propre, puisque éveùrae ne signifie pas seulement aveuglé momentanément, mais aussi étourdi, écervelé, voire effarouché (sa coêfe qi n’ét q’ûne grande éveùrey, je me taeraes a sa pllace).
    On lui ajoute parfois un augmentatif comme dans étr évarveùrae (ne pas savoir où donner de la tête, être désorienté).
     Il est possible que ce var- soit la variante sonore du préfixe de renforcement far- qu’on retrouve dans le français farfouiller par exemple.

D’autres termes se sont construits parallèlement au français, n’offrant pour différence que leur diphtongaison : enterveùe (entrevue), m’as-tu-veù (m’as-tu-vu), pourveù (pourvu) et la locution pourveù qe (pourvu que), ...