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Académie du Gallo


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Les Dossiers linguistiques de l'Académie du Gallo

La Pepineray : "Vay"


VAY


Son ancêtre, le latin via, recouvrait déjà les divers sens contemporains. Car en prononçant ce mot, les Romains pouvaient aussi bien évoquer le chemin, la route, que le voyage, le trajet. D’autres sens lui étaient attachés comme conduit, canal ou, au figuré, méthode, moyen, procédé, sens que le gallo moderne ne reconnaît plus.

Pour rappeler à quel point ce terme a essaimé dans le domaine roman, énumérons par exemple les différentes traductions du français voyage : viaggiare (italien), viajar (castillan), voiaj (roumain), viagem (portugais), viàgjhu (corse), viatge (occitan).

Revenons au gallo. Certes, vay est aujourd’hui concurrencé par chemin, route. Néanmoins, son sens usuel de voie, issue est toujours courant (falhit ramasser tout ça qi taet den le mitan de la vay) et l’urbanisation de notre société lui redonne même un nouveau souffle, car il prend facilement le sens de rue.

Certaines circonstances particulières lui assurent un emploi quasi-exclusif. Lorsque vous gênez le passage de quelqu’un, que vous êtes dans ses jambes, il pourra faire remarquer que vous êtes dans sa vay (je me sei terouey den sa vay ûne fais de pus). Vous aurez alors l’obligeance de vous tirer de sa vay (lui libérer le passage). Au figuré, se mettr den la vay de quelqu’un, c’est aller à son encontre. Si bien qe conter den sa vay, c’est dire n’importe quoi dans le but de le contrarier.

Autre expression figée, aler par vays e par chemins équivaut à aller par monts et par vaux. Du point de vue technique, vay répond à tous sens du français voie. L’usage s’est d’ailleurs bien conservé pour désigner la voie d’un véhicule et par extension, l’espace entre deux ornières.

Comme en français, c’est le préfixe en- qui prévaut dans la formation des dérivés. Mais phonétiquement, en gallo, la voyelle a tendance à s’affaiblir devant le yod. En clair, envayer peut donc s’entendre enveyer et même se réduire à deux syllabes par l’amuissement de ce « e » central (envyer). Par commodité, on en restera à envayer dans notre développement.
    On assiste aussi parfois à l’agglutination d’un n- à l’initiale (nenvayer ; va core falair le nenvayer ez ecoles) sans doute sous l’influence du pronom indéfini en qui est d’usage régulier avec ce verbe. Envayer est pratiquement équivalent au français, même si parfois il déborde sur le sens d’amener (on a envayae du citr) ou de communiquer (lourz as-tu envayae ton aderce ?). Il peut aussi être plus appuyé en prenant le sens de faire partir, chasser (le monde me donaent pour m’envayer pus lein, les gens me donnaient pour que je parte). Ce sens de congédier avec une certaine rudesse est sans ambiguité dans l’expression envayer sus le fourn (congédier brusquement, envoyer promener).

L’envayouz remplit bien sûr la fonction d’expéditeur puisqu’il effectue un envai (envoi). Il y a malenvai s’il y a erreur au cours de cette expédition. De plus, dans un tout autre domaine, les adeptes de l’escalade connaissent la rote d’envai (corde de rappel).

L’itératif exprime la notion d’échange comme alterner sa présence en un lieu entre deux personnes (on se renvayaet a la messe, on échangeait notre tour d’aller à la messe). Il est explicite dans renvayer réponze (rendre réponse). Mais il donne un tour plus appuyé lorsqu’il s’agit d’exprimer le côté expéditif avec le sens de renvoyer, congédier. Plus clairement, on renvaye qheuq’un sus lez mournes (mot à mot, envoyer sur les mûres) quand on veut l’envoyer promener et lorsqu’il s’agit de lui répliquer, on le renvaye a sa nâche.

Le préfixe ad- se combine pour décrire un emploi plus particulier. Car advayer, c’est plus spécifiquement acheminer, expédier. À partir de là, toute une dérivation peut se mettre en place autour de ce champ sémantique. Nous avons l’advayouz (l’expéditeur), l’advayement (l’expédition, l’acheminement), l’advayeriy (le service des expéditions), l’advayis (l’objet expédié). La liste n’est bien sûr pas exhaustive.

Le préfixe a- s’applique aussi (avayer), mais il se réduit au sens de donner de la voie à une scie, ce que les professionnels de l’affûtage savent faire.

Le privatif dé- entre aussi en jeu comme en français. Il suit le même chemin au sens propre puisque dévayer signifie dévier du bon trajet. Il faut d’ailleurs parfois se dévayer (se pousser ; dévaye-tai de ma vay). Cependant, le substantif dévayement recouvre le sens de malchance (qheu dévayement !).
    Ce privatif accompagne très souvent la forme contractée viette par simplification phonétique. C’est ainsi que dévietter a pour sens changer de direction, bifurquer, faire un écart, dérouter, dévier. À la forme pronominale ou intransitive, il traduit le fait de se fourvoyer, perdre son chemin. On a une déviettey sus les routes lorqu’une déviation est en place. Par extension et au figuré, c’est un changement par rapport à la norme. La dévietteriy exprime donc la déviation, la corruption par rapport à la ligne directrice précédemment définie.

Nous venons d’ouvrir une lucarne vers les diminutifs. Rien de plus naturel que la vayette (ou son diminutif viette) ait le sens de sentier, de ruelle, voire même d’allée dans un jardin (son jardrin a eu lez vayettes couvertes a raz lez moteys). Vayetter (ou vietter) reprend donc l’idée de cheminer, parcourir les allées entre des semis, par exemple.

Le vayaije est plus propre aux temps modernes et est l’affaire du vayaijouz (voyageur). Sous sa forme réduite, vyaije exprime plutôt l’idée de pèlerinage. Dans notre société traditionnellement chrétienne, partir en pèlerinage était le plus souvent la seule occasion de vyaijer (voyager). Les vyaijouz (pèlerins) se rendaient le plus souvent à Sainte-Anne ou à Lourdes. Autre but pour les nouveaux mariés, le vayaije de noces qu’en français, on appelle aussi lune de miel. Le vyaijouz-ghettouz (explorateur) a de toutes autres préoccupations. Ce substantif est la somme de deux agents, issu de vyaijer-ghetter (explorer). C’est un type de formation par combinaison entre deux éléments qui se rejoignent sémantiquement et dont le gallo est parfois coutumier.

De manière plus confidentielle, on a aussi davayer (dédicacer un ouvrage, par ex.), ce qui entraîne davayouz (auteur qui effectue la dédicace), davayaije (moment de dédicace), davayey (la dédicace en elle-même), davayery (séance de dédicaces), …

Se fourvayer (s‘égarer) répond au français se fourvoyer. Cette forme se réduit parfois à se forvyer de même sens. Elle est ancienne.

La préposition hors s’est beaucoup mieux intégrée avec ce substantif, d’où hors-vay, qui à l’origine, traduisait un écart par rapport au chemin (un peu comme on a hors-jeu en français moderne). Il n’est plus attesté qu’au figuré et être en hors-vay, c’est être en alerte, excité, en effervescence (nouzaotr, lez garçalhes, en étaet en hors-vay).
    S’étant bien popularisé, il a créé d’autres dérivés comme dehorvayer (quitter l’ornière, éviter les ornières). Certes, se déhorvayer, c’est s‘écarter de son trajet. Mais son usage va plutôt vers le figuré et c’est plus souvent au sens de sortir du droit chemin, faire un écart de conduite, se dévoyer qu’on l’entend (il n’avaet jamaez déhorvayae, lu). On n’aura donc aucun mal à comprendre que la déhorvayeriy, ce sont des frasques.

Hors se combine aussi avec envayer. Hors-envayer exprime alors l’idée d’envoyer la balle à l’extérieur sur un terrain de football, mais c’est aussi exporter des marchandises (Je hors-envayom du boêz de cheyne).

Enfin, crei-vay est une formation spécifique dûe à la proximité de la langue bretonne. Il répond au breton kroaz-hent (mot à mot croix-chemin) qui désigne le carrefour. Là où le breton a reculé, au cours des derniers siècles, c’est ce terme gallo qui s’est imposé. Certes, il n’est plus attesté qu’en toponymie, mais il montre combien les modes de pensée gallo et bretonnant étaient proches.