ACADEMIY DU GALO

Académie du Gallo


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Les Dossiers linguistiques de l'Académie du Gallo

La Pepineray : "L'oure"


L'OURE


Claude MONET
Le déjeuner sur l'herbe
(partie centrale)

Évolution logique du latin hora, le gallo n’a pas suivi la seconde évolution que lui a fait subir le français en avançant la voyelle [u] en [œ].

Son champ d’application est nettement plus large qu’en français, notamment à travers une série d’expressions du quotidien. D'oure, par exemple, se rapporte au moment précis. Étr d’oure, comme étr brave de l’oure, c’est être à l’heure, ponctuel, à temps. Ariver just d’oure, ça peut aussi être arriver fortuitement et par extension, décrit le flagrant délit.

Toute tâche doit être menée en oure e en temp (ou d’oure e de temp ; en temps et en heure) de même que les travaux agricoles doivent être effectués d’oure e de saezon. Cependant, un travail qui n’est pas urgent, on peut le faire a oures e a fais (par intermittence). Aujourd’hui, ce sont nos outils informatiques qui doivent fréquemment être minz d’oure e de journ (mis à jour). Sinon, ils seraient obsolètes depeis belle oure (depuis longtemps). Ajoutons à cela a bone oure, de bone oure (tôt, bientôt).

Une oure d’aeze représente un répit, mais ici, on assiste à un croisement avec our du latin augurium (présage) qui a évolué en agurium (fatalité, sort) et dont l’homophonie avec oure a aussi entraîné parfois une confusion de sens. On pourra y revenir par ailleurs.

Oure est aussi repris dans des expressions qui sont parfois parallèles au français comme den taloure (contraction de tout-a-l’oure, tout-à-l’heure).
    Cependant, son emploi est parfois plus large par rapport à la langue dominante. L’expression peut être orientée vers le futur (cant il m’a dit ella, j’ae étae dés taloure ; quand il m’a dit ça, j’y suis allé tout de suite). Ici, taloure a donc valeur d’aussitôt, immédiatement.
    Une autre valeur apparaît, celle de presque : t’és taloure aossi grand come yelle (tu es presque aussi grand qu’elle). Le terme apparaît aussi dans la perspective d’une alternance : taloure yun, taloure l’aotr (tantôt l’un, tantôt l’autre).


Une autre expression est très courante, au point qu’elle est même presque emblématique du gallo. Astoure (étymologiquement, a cette oure) est toujours entendue au sens de maintenant, à présent, de nos jours. Elle est souvent renforcée dans astoure-ci (à présent, de nos jours).
    De plus, bien qu’étant une locution adverbiale en elle-même, elle forme d’autres locutions adverbiales. Pour astoure revient à pour l’instant, pour le moment (y en a asset pour astoure). Come c’ét astoure traduit une locution française plus ampoulée (en l’état actuel des choses). On parle aussi du temp d’astoure pour à notre époque. A l’astoure reprend l’adverbe français actuellement (y avaet dez jerbes a deuz manveys a l’astoure ; il y avait des gerbes à deux mouvements de faux comme actuellement), car astoure reprend aussi actuellement.


Aloure (alors) est un autre adverbe issu de oure, bien que de manière assez complexe (le « s » de alors en français est dû à l’adjonction d’un « s » adverbial).
    À son tour, il entre dans une nouvelle composition adverbiale, aloure de celae. Cette locution, s’attachant à une proposition, décrit la conséquence (donc, là-dessus, à partir de ça, ceci dit, ... en conséquence ; aloure de celae, lu q’ét si bon preychit de memme a Saent-Pierre ; aloure de celae, je m’ae frotae od la graesse d’electricitae e me v’la invizibl).


Revenons à l’oure qui décrit la marche inexorable du temps.
    Certes, on peut être de belle oure (de bonne heure), mais il y a surtout qu’on peut être haote oure ou basse oure. Il ét haote oure quand la petite aiguille atteint les derniers chiffres du cadran, soit en fin de matinée. Il ét venu haote oure signifie qu’il est venu tard dans la matinée. On est alors dans la haote ourey. Ce peut être aussi tard dans la nuit, disons après minuit, quand l’aiguille est encore en haut du cadran.
    Basse oure ne s’applique pas au matin, mais plutôt à la fin de journée, quand l’aiguille évolue dans le bas du cadran. Ceci est d’autant plus vrai en hiver et quand le temps s’assombrit rapidement. On est alors à la basse ourey (heure avancée du jour). Par extension, basse oure décrit l’idée d’heure tardive (il n’ét pas core ben basse oure) à tel point qu’en hiver, basse oure se confond même avec le crépuscule. Celui qui voyage tard, rentre tard, est basse oure. En se mettant en route à la nuit venue, on se met a la basse oure. Aussi, pour obliger les enfants à se coucher tôt, on lui faisait miroiter la crainte de rencontrer le bonome basse oure (le croquemitaine).

Les deux termes sont si employés qu’ils ont construit de nouveaux dérivés.
    Un lève-tard ét haotourao ou haotourier. En compensation, il peut être bassourao (couche-tard) ou bassourier parce qu’il s’abassoure (s’attarde le soir). Le temps s’abassoure également quand la nuit approche et, plus généralement et par analogie, quand il s’assombrit.

Autre composition, et qui se fait à partir du nombre dix, dizeurer, qui signifie prendre la collation à dix heures. Cette collation, c’est la dizourey.

Le gallo n’étant pas chiche d’exprimer le contenu, la durée, on ne sera donc pas surpris de rencontrer le terme ourey (durée d’une heure). Il s’est attaché en particulier à décrire le travail effectué en une heure.
    Mais son sens s’est élargi pour recouvrir celui de moment, laps de temps. De falhiys oureys ne peuvent durer que de brefs moments.
    Mais au contraire, une ourey peut englober quelques heures ou une partie de la journée. Son sens s’est à ce point élargi qu’il désigne parfois une parcelle, un coin de terrain ou seulement un rang fauché à la fenaison. En fait, cette extension lui fait désigner une partie : une orey (autre forme de ourey) de journal est un bout de journal. Le terme en est même devenu générique dans l’expression mener lez oureys (prendre les décisions).
    Revenu à son sens premier, on l’utilise au pluriel pour l’appliquer aux horaires (le terme français est un emprunt à l’italien ; tu sae-ti lez oures dez treïns ? , connais-tu l’horaire des trains ?).


Le gallo connaît aussi maloure qui doit être compris dans son sens originel de mauvaise heure, c’est-à-dire, mauvais moment. Et c’est toujours le mauvais moment quand il n’y a pas oure d’aeze (y a pas oure d’aeze od li ; avec lui, on ne connaît pas un seul moment de tranquillité).

Orif est le terme qui reprend les français hâtif ou précoce, soit étymologiquement de bonne heure.

Qu’on nous pardonne notre esprit de contradiction en terminant sur un bonjourn. En effet, ce terme de salutation a lui aussi ses dérivés comme par exemple, bonjourer (dire bonjour, saluer). Il trouve même un dérivé bonjourey qui s’entend pour salutations (non pas de départ bien sûr, mais d’arrivée).