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Académie du Gallo


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Les Dossiers linguistiques de l'Académie du Gallo

La Pepineray : "La rote"


LA ROTE


Envyer ez rotes (Vick e Vicky)

Comme le français route, rote a pour origine le latin rupta, ou plus proprement, rupta via, soit littéralement voie rompue. C’est donc la même origine que derompr.
    Alors qu’il y a 1000 ans, la prononciation commune était rote, vers la fin du XII° siècle, la partie centrale du domaine roman a fermé la voyelle en « ou », soit route.
    Au point de vue sémantique, rote en gallo s’est réduit à désigner un passage sommaire, pendant que le français route s’est imposé au sens qu’on lui connaît actuellement. Rote était d’ailleurs noté tel quel dans la "Très Ancienne Coutume de Bretagne" (1325).

On ne le confondra pas avec son homonyme qui a pour sens corde, lien de fagot, et a une autre origine (latin retorta).

De manière générale, si, pour la partie qui nous intéresse, le sens de trace d’un passage est le plus commun (il avaet ûne riqilhey de rotes dan son cllos de bllae ; il partit par dez rotes a travers champs), ce qui fait qu’il peut aussi représenter une brèche dans une haie, il s’élargit aussi à celui de piste, de sente, de sentier (en s’en ertourne par lez chemins e lez rotes).

Son usage courant nous amène à mentionner des expressions particulières dont on appréciera la saveur, telle ghetter a la rote pour surveiller l’accouchement lorsqu’on est dans l’attente d’une naissance (ol restit ûne orey de la neit a ghetter a la rote). De plus, la rote ez puces se rapporte à l’entresein et se laver la rote ez chats se résume à faire une toilette sommaire. Enfin, envyer ez rotes, c’est envoyer au diable vauvert, une personne qui nous importune, par exemple.

Mais ne soyons pas aussi expéditif avec notre sujet. Car une dérivation fournie nous attend.

Nous allons d’abord nous aroter, c’est-à-dire, nous mettre en route. Au figuré, s’aroter, c’est se lancer dans l’action. Transitivement, par extension, c’est aussi lancer, projeter, même si initialement, c’est jeter sur la route (je vaz vouz aroter).

Dans ce dernier sens, la forme française (arouter) concurrence vivement la forme gallo. Aussi, on entend souvent arouter avec les sens développés plus haut qui peuvent s’étendre à celui de chasser (des gamins, des poules, etc). Mais outre ce sens de faire partir, on a aussi celui de roder (un outil, une poêle).

C’est cette postérisation de la voyelle qui est d‘avantage retenue pour former l’adjectif aroutae qui s’applique à un chemin, un passage fréquenté (notr chaentr, al ét toute aroutey).
    Mais son emploi est plus étendu : étr aroutae, c’est être fonctionnel (pour un objet, un outil), rompu, expérimenté (pour une personne). Donc, quelqu’un qui est aroutae connaît la routine en fait. On peut aussi dire qu’il est aroutinae.
    Ce participe adjectif est une flexion du verbe aroutiner qui recouvre les sens de accoutumer, roder, habituer. On l’entend facilement à la voix pronominale. S’aroutiner, c’est prendre la routine, mais son sens peut déborder à celui de s’encroûter, car alors à l’usage, on tombe dans la routine. Il faut alors se dézarouter (changer les habitudes).
    Dans la même direction, l’arotement, c’est la routine qu’on finit par connaître à force de s’aroter.

Tournons-nous vers un autre préfixe, et nous avons deroter pour initialiser, débuter (deroter un traçae ; le permier qi faoche, il derote). Un derotouz est donc un initiateur, voire un pionnier.

Survivance du préfixe d’origine celtique à valeur intensive, daroter traduit traînasser, musarder, étymologiquement passer beaucoup de temps sur la route. D’où un darotard pour décrire celui qui musarde, traînasse, ne sait pas quand partir d’un lieu, par exemple.

Rotayer, c’est se déplacer, faire une virée, être en route, se promener (pernez voz veloces e alez rotayer sus lez routes) quelque soit le moyen (un brave pere rotayaet a piet sus ûne route) ou le but (il avaet le divoêz d’aler rotayer den lez debits ; nouz falit aler rotayer par lez rues).
    Ceci nous amène donc à découvrir rotayey (déplacement, promenade ; le medecin, cant q’il vient, faot ben li paeyer sa rotayey).

Mais revenons vers la routine.

Le terme est d’un usage un peu différent en gallo dans la mesure où avair sa routine, c’est avoir ses habitudes. Il en est de même de déroutae (dérouté). En effet, étr déroutae, c’est avoir perdu l’habitude. En revenant de vacances, par exemple, on est déroutae de son travalh car on en a perdu l’habitude.
    Dérouter d’ailleurs, c’est aussi interrompre un travail pour en commencer un autre. Autrefois, pour le faucheur, c’était aussi terminer sa lancée. Aujourd’hui, pour un véhicule, le terme revient à terminer sa course : la chârte a déroutae den le creuz de fossae.

De tout ceci, route recouvre un sens plus large que celui que le français nous soumet.

Bien sûr, la route est cette voie qu’on emprunte régulièrement, et par métonymie, la chaussée qui la compose. En fait, le terme est central dans bien des expressions tel une borne de route (borne kilométrique) ou aler en route, se mettr en route, étr en route (respectivement partir, démarrer, être en déplacement).
    D’ailleurs, celui qui est terjous par routes e par chemins est par monts et par vaux, en déplacement continuel : c’est le cas des représentants de commerce, par exemple. D’ailleurs, le routier n’est pas nécessairement un conducteur de poids lourd, c’est tout simplement celui qui voyage beaucoup par les routes.

Et puisque nous en sommes au réseau routier, celui-ci se subdivise en deux catégories. Il y a les grands routes (les routes principales) e lez demi-routes (routes secondaires).

Route cependant dépasse cette acception commune avec le français.
    Car le terme a aussi valeur de rayure, de trace (comme celle qu’on peut faire sur la table avec ses doigts). C’est aussi la nervure d’une plante (la pentecôte dez praes, la fllour a dez routes ; la fleur de la jacinthe sauvage a des nervures). Et les routes qu’on retrouve sur le bois correspondent à ses fibres.
    Route décrit finalement toute trace visible. Un faucheur ou un semeur font dez routes s’ils ne fauchent pas (ou ne sèment pas) de manière uniforme.
    De même, un avion qui passe dans le ciel laisse aussi des routes s’il laisse des traînées blanches.

Les dérivés connaissent aussi cet élargissement du champ sémantique.

Qui sait qu’un fromage peut être en déroute (avancé dans son état) comme le cazgiu merzu des Corses par exemple ? Et dérouter, c’est déraisonner (tu déroutes en écrivant qe t’as oui le coucou dés le mais de feverier).

L’emploi à la voix pronominale va dans le même sens, celui de faire des écarts (il se mit a se dérouter après ses journeys). Cet écart de conduite est naturellement considéré comme un déroutaije, le terme pouvant aller jusqu’à décrire un trouble psychique (le déroutaije peut se rézolver en s’erpozant, maez san s’adnaesser a ne ren faere).

À route, on connaît un autre dérivé, routin, moins employé que rote décrit plus haut et dont il est le synonyme.