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Les Dossiers linguistiques de l'Académie du Gallo

La Pepineray : "La reue (1/2)"


LA REUE (1/2)


L’attestation la plus ancienne dans les parlers romans date de la fin du XI° siècle, « rode », glosé « pièce de forme circulaire qui en tournant sur un essieu communique un mouvement ».
    On a bien là la définition de la roue et si ce sont les gaulois qui l’ont inventée, selon la tradition, le terme en lui-même trouve son origine dans le latin « rota » (roue, rouleau).
    La dérivation régulière de cet étymon a donné le gallo « reue » et la forme « roue » du français n’est qu’une réfection accomplie sur le verbe rouer.

Son sens s’étend à celui de meule de moulin ou de tour de potier, mais aussi à celui de rouage.

Le caractère monosyllabique du terme est propice à la dérivation comme on va le voir.
    D’ailleurs, deux directions vont être prises par ces dérivés : l’une, plus dynamique, se développant depuis la voyelle /ɔ/ ou sa fermeture en /u/, la seconde, plus statique, conservant la voyelle /œ/. C’est depuis celle-ci qu’on obtient reuzer (incurver, cintrer, faire une courbe, étymologiquement, donner la forme d’une roue).

À partir de là, l’adjectif est retenu au sens de cintré, concave. Ce cintrage, c’est de la reuzeriy. C’est alors qu’un déverbal reuz (masc, ou reuze, fem) apparaît. Il décrit donc un arc, une courbe ou courbure, une concavité et plus concrètement, un cintre qu’on doit déreuzer (décintrer) si on veut lui retirer cette forme. Avair du reuz, c’est être en arc de cercle.

Deux expressions relatives à reue sont à évoquer, et qui ont toute leur place dans notre monde moderne.

Une reue d’encraodoere (mot à mot, la roue de sorcière) représente notre façon d’évoquer un cercle vicieux. Et en mettant lez bouriers sour lez reues de charte (les détritus sous les roues de la charrette, c’est-à-dire, en glissant les poussières sous le tapis), on ne fait que reporter à plus tard le problème.

Cette voyelle /œ/ dans un contexte dynamique apparaît rarement, avons-nous dit. Tout au plus, la retrouve t-on dans reuyer (pour un bovin, faire la roue d’un air menaçant, tournoyer la tête baissée). On emploiera d’ailleurs plus souvent faere la reue.
     Reuder s’applique dans ce contexte particulier où la roue de la charrette à bœufs frotte sur les clayons évasés par la charge.
    Mais comme il est difficile de fixer un suffixe verbal sur /rœ-/, on reprend roue pour obtenir rouer (cintrer, courber, s’incurver). De même, arouer consiste à former un rouleau de foin. Ce qui fait qu’on a une bonne rouey si on a une bonne récolte de foin. Mais la rouey, pour revenir à son sens premier, désigne l’empreinte d’une roue. Il peut aussi se rapporter à la circonférence de cette même roue.

C’est plutôt depuis role (ou roule) qu’on va retrouver une pléthore de dérivés.

Il faut remarquer d’abord que la fermeture de la voyelle est loin d’être systématique comme en français. Aussi, il ne faut pas s’étonner de rencontrer la forme en « o » de manière beaucoup plus systématique, au point de recouvrir des champs sémantiques différents.
    C’est d’ailleurs le cas pour le déverbal role (javelle non liée) qu’on retrouve aussi dans l’expression y en a a role (en abondance, pour du foin qui est tellement épais qu’il verse dans tous les sens). C’est alors qu’on dit qu’il est rolae (abondant au point d’être couché à terre).

Les développements autour du sens d’enrouler convergent vers ce radical. La javelle non liée est une roley (on l’a enroulée). Par extension, ce substantif s’applique à une roulade, ou dans le domaine agricole, à un round-baller. De manière globale, c’est un rouleau, un paquet enroulé. Au figuré, on le retient aussi comme une série de mots, de noms et dans notre monde médiatique, comme une liste de diffusion.

Ce qui forme ce rouleau, c’est une arole (andain, rouleau de foin). On met alors le foin en aroles (en rouleaux). Par extension, les aroles de maer désignent les brisants.

Depuis ce terme préfixé, se construit le verbe aroler (enrouler, mettre en rouleaux) qui se décline parfois avec un diminutif aroletter de même sens.
    Mais ce verbe aroler a un sens qui s’étend aussi à projeter avec force, lancer méchamment un objet à la tête d’un antagoniste. Toujours avec ce préfixe a-, une aroley vaut pour un enroulement et par extension, pour une longue course d’une seule traite.
    Avec un autre préfixe, on retrouve enroler qui fait pendant au français enrouler.
    Naturellement, on accède au privatif déroler qui décrit le fait de dérouler, et pour un fourrage ou une céréale, de le dérouler et le ramasser en javelles (lez buhots taent ben dérolaes). C’est ainsi que déroler sa part, c’est faire sa part, par extension. Le javeleur comme celui qui ramasse ces javelles s’échangent les titres de rolouz ou de dérolouz suivant le regard qu’on leur accorde.

Mais revenons au verbe le plus courant, roler.

Celui-ci connaît diverses acceptions. Outre celle de rouler, c’est aussi enrouler ou envelopper.
    Si le domaine agricole retient relever sa javelle, c’était aussi modeler la chandelle de résine. Mais le monde moderne retient les sens de border, pour un lit, ou pour une personne, produire un mouvement oscillant des hanches en marchant. Ce qui nous amène aux expressions roler le qhu den sa cheminze (se dandiner) ou roler du dererre sus son banc (s’impatienter pour une personne assise).

Roler signifie même s’endormir brusquement. Pourquoi ? Parce qu’à la forme pronominale, se roler vaut pour se coucher, se vautrer, préparer sa couche.
    On comprend mieux alors le glissement vers le domaine du sommeil. En ce sens, la roley est d’ailleurs le lieu où un animal s’est couché, définition partagée avec rolace (un chien ou un chat s’enroulent en effet lorsqu’ils veulent s’endormir ; il sont enrolaes).

Se roler peut donc traduire le mouvement de rotation qu’on effectue sur soi-même, se lover, et parfois malgré soi (mon chapiao se rolit den le boulhon, [poussé par le vent]). Les circonstances peuvent donc l’entraîner vers l’idée de dévaler, se répandre, ce qui apparaît tout de même comme plus littéraire.

Rencontrer le diminutif rolet peut se faire en diverses occasions.

Si le monde rural l’a fait entendre au sens de rouleau de foin, il l’a aussi étendu à un bouchon de fourrage tiré du tas. Dans la vie plus courante, il peut désigner un bourrelet (un rolet de graesse) comme un rouleau de monnaie ou, allez savoir pourquoi, une pièce de cinquante centimes.

Si rolon a parfois gardé son sens étymologique de petit rouleau, pour désigner un rouleau de tissu, par exemple, il est devenu très courant pour désigner le barreau de chaise ou surtout d’une échelle.
    Le sens figuré l’accompagne et si, dans une entreprise, vous avez montae un rolon de pus, on sait que vous avez accédé à un niveau plus élevé de la hiérarchie.

Naturellement, équiper une échelle de ses barreaux, c’est l’enroloner. Mais avec l’usage, elle peut se déroloner (perdre un ou plusieurs barreaux) : mon échele ét toute déroloney (dégarnie de ses barreaux), laz renroloneras-tu ben ? Voilà une question fort utile, il faut l’avouer, pour un exercice de vire-langue.

Même la mer fait des rolons (des rouleaux, autrement dit de grosses vagues, des déferlantes). Mais on ne voit pas bien quelle métaphore a pu amener le rolon à désigner également le cloporte comme il le fait parfois.

Un dernier dérivé sur la base de rol- subsiste : il s’agit de rolier qui désigne le charron. Cependant, il est parfois concurrencé par royer, qui est aussi un patronyme.


A suivre ...