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Académie du Gallo


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Les Dossiers linguistiques de l'Académie du Gallo

La Pepineray : "Poen"


POEN


avec l'aimable autorisation de
la Fédération de Gouren

Le latin pugnus a évolué vers poen (identique au français dans sa diphtongaison devant la consonne occlusive nasale « g »). Il avait déjà ce sens il y a 2000 ans.

Les dérivés annulent cependant cette diphtongue (empogner ; fr empoigner) de la même façon qu’on a sogner pour soigner. En français, cette évolution se retrouve dans cogner (de coin) mais ne s’est pas développé d’avantage.

Ces dérivés se retrouvent alors exclusivement à partir du radical pogn-. Donc, nous n’avons pas de poigne, mais de la pogne.

L’usage de pogney est plus étendu que celui de son homologue français poignée. Certes, la pogney désigne ce que contient la main, ce qu’elle peut saisir, et c’est pourquoi on l’entend largement pour la poignée de la faux, le levier d’un treuil, une manivelle, une manette ou même un manchon.
     Mais on donne aussi une pogney de maen quand en français, on entend plutôt qu’on se serre la main. Trivialement, ce quantitatif désigne une somme d’argent.
     On sème aussi a la pogney (à la volée) et autrefois, on moissonnait en coùpant a la pogney (en coupant à hauteur avec une faucille à dents). Enfin, on peut aussi manjer a pogney (à la fourchette du père Adam).

Cependant, il recouvre fréquemment un sens abstrait que le français ne connaît pas.

On va laver ûne pogney de hardes pour faire une petite lessive. On prend ûne pogney de feu quand on vient se réchauffer les mains (je vaz te prendr ûne pogney de feu). On reçoit ûne pogney de châtaegnes à travers une décharge électrique. On peut demander ûne pogney de consaelhs. De là, on a sa pogney de raezons (sa part de vérité ou son point de vue, par extension).

Revenons vers du concret.

Pogner, c’est jouer du pognet (poignet) et donc empoigner quand on pogne sus quelque chose (pogne don sus la rote !).

Par extension, c’est sarcler à la main, le poignet étant très sollicité, puis plus globalement, s’efforcer. L’usage du poignet était si fréquent dans les travaux agricoles qu’on rencontre régulièrement le fréquentatif pognetter pour moissonner à hauteur, mais aussi couper par poignées, à tel point que le faucillon se faisait nommer la pognettoere. Sous une forme à peu près semblable, on a aussi pognayer pour sarcler à la main (pognayer, c’ét araicher le bourier a la maen, nous dit l’ALBRAM).

Pogner a par ailleurs le sens de boxer (puisqu’on utilise sez poings), car il arrive de s’entr pogner (se battre à coups de poings) d’où un pognouz (boxeur) pour un adepte de la pogneriy (boxe, mais aussi pugilat).
     L’emploi du préfixe em- n’est pas exclu et un empognouz (lutteur) n’hésite pas a empogner. Dans un combat (de lutte bretonne par exemple), les deux lutteurs vont s’entr empogner (se saisir mutuellement pour le combat). À plusieurs, ce sera l’empogne (l’empoigne, la mêlée).

Rempogner revient à rattraper, ressaisir ce qui est à portée avec le pognet ou de manière redondante, le pognet de brac. On paisse ao pognet quand on s’engage pour le bras de fer.

À l’opposé, on dépogne quand on lâche prise, qu’on desserre le poing (la maen me dépogne). Dans un sens plus général, c’est relâcher son étreinte, desserrer son étau.

On connaît cette arme blanche qu’est le poignard et que le gallo adapte en pognard. Mais ce substantif est également adjectif au sens de « de la grosseur du poing ». Et le verbe pognarder qui en dérive ne s’entend pas avec le sens que le français lui accorde. Pognarder, c’est manipuler, manier sans précaution (familièrement, tripoter ; faot pas pougnarder lez paires).

Dans le domaine fréquentatif, il concurrence pognacer de même sens, mais moins usité.

Dernier dérivé, pognis, qui désigne la javelle, du fait du travail du poignet pour la constituer.

On remarquera une curieuse altération phonétique dans poelleter qui a dû se produire avant l’affaiblissement de la diphtongue. Le sens n’en a cependant pas évolué bien qu’il soit perçu de manière plus ironique car se poelleter, c’est se battre.

Il serait inconvenant de quitter ce thème sans avoir relevé que le crabe dormeur est désigné par nos riverains du littoral sous le terme de poen-cllos. Le français accepte d’ailleurs cette appellation. On peut supposer que c’est une forme qui reprend à sa façon l’expression « dormir à poings fermés », pourquoi pas ?