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Académie du Gallo


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Les Dossiers linguistiques de l'Académie du Gallo

La Pepineray : "Virer (1/2)"


VIRER (1/2)


image de "Vick et Vicky" de Bruno BERTIN

D’un bas-latin virare (faire tournoyer), virer se retrouve bien sûr avec le sens de tourner, mais de manière sans doute plus intensive (le virer, c’ét le tourner de bord, à propos du foin). Virer ao cabestan, c’est le tourner e ben virer, c’est donner un bonne tournure à sa conduite. Mais ça peut aussi être se renverser (la charrte a virae). On peut aussi se virer, c’est-à-dire, se fouler sans doute parce que le pied a virae. Virer de l’uelh est préféré à tourner de l’œil. Virer s’entend aussi pour viser, ajuster un tir, prendre en ligne de mire. Mais si vous louchez, on va penser que vous virez la lûne.

Le vire est la grande vis centrale du pressoir, ce qui sert à construire l’image des chaussettes qui sont en vire de pressoer lorsqu’elles descendent (autrement dit, quand elles sont en accordéon). Ce déverbal est repris pour désigner soit un treuil, soit un escalier tournant ; ainsi d’un vire a demi-rond pour un escalier intérieur en colimaçon. Au féminin, mettr un soc a la vire, c’est lui tourner la pointe vers l’intérieur de la charrue.

Êtr virae, c’est tout simplement avoir la tête près du bonnet, voire même être fou, dément, aliéné, détraqué.
    Mais associé à un adjectif relatif à l’appréciation, il traduit simplement l’humeur. Autrement dit, vous pouvez êtr mal virae (de mauvaise humeur), mais on serait heureux que vous soyez plutôt ben virae (de bonne humeur).

Si cet étymon a connu un développement sémantique souvent proche du français, c’est aussi en s’accompagnant d’une pléthore d’affixes.

Abordons notre sujet par les préfixes.

Le préfixe a- donne à avirer le sens de dévier, détourner, dériver ou de faire revenir dans le bon chemin (avire la vache). Une avirey correspond donc à une correction de trajectoire. S’en approchant, « par avireys » traduit par intermittence lorsqu’il faut agir pour modifier le cours des choses épisodiquement.

Dé- (privatif) se confond avec de- (augmentatif) en raison de la valeur sémantique de l’étymon qui exprime de lui-même une altération.

Devirer prend trois orientations sémantiques :
•celle de virer, obliquer, détourner, dévier (il a faet devirer l’iao sus mon terraen ; je vayom un biao endreit a vair, j’alom devirer) d’une part,
•mais aussi celle de faire demi-tour, revenir, retourner un objet. Ce n’est donc pas seulement le simple changement de cap, mais ça peut être un revirement complet. Pour un navire, ça peut être chavirer, mais une personne qui se devire vient en fait de se retourner brusquement (il s’ét devirae sus mai). Un mort peut avoir les yeux deviraes, autrement dit, les yeux retournés. A noter l’expression « il ne devire pas ûne qhulier » pour « il ne remue pas le petit doigt » pendant que « se devirer la caboche », c’est « se retourner l’esprit ». Ceci fait qu’une personne devirey a l’esprit détraqué, est aliénée, atteinte de démence. Celui qui joue ao toqson devirae prend des décisions irréfléchies qui ne peuvent qu’être préjudiciables.
•Le troisième sens est celui de dérouler, dévider (dévirer ûne bobine) ainsi que dévisser. Disons que c’est inverser le sens de rotation.

On attend donc normalement dérivey pour virée, dérivation. « A qheuqe devirey ! » (à un de ces jours !) peut-on entendre en quittant quelqu’un. Si un devirement peut être un simple virement d’argent, un devirement de fond s’applique plutôt à un détournement de fonds.

Aussi, la devire, c’est la déviation, la dérivation, disons toute sortie de trajectoire. A tel point qu’aler a la devire, c’est même aller à rebours, à contresens. Puis un devire-sot, en tant que gifle bien appliquée, remet parfois les idées en place.

Une intrusion dans le domaine aquatique nous apprend qu’un deviroer est un déversoir. Deviroler, c’est dévider ou dérouler (une corde, un fil), contraire de enviroler (enrouler). Tout proche, le verbe déviraoder vaut pour tournoyer, tourbillonner. On ne s’étonnera donc pas d’entendre devirouey pour un tourbillon de vent ou une devirouadey pour une volute de fumée.

L’augmentatif s’exprime par ra- ou re-.

Ravirer exprime donc le fait de ramener dans le droit chemin (ravirer lez vaches). Un ravirae vaut pour un changement d’avis, une rétractation. Ce terme s’adapte au féminin par ravirey (même sens).

Revirer traduit un changement radical de direction ou d’opinion. C’est donc virer de bord, mais aussi retourner sa veste. Outre retourner un sillon (on revire la grosse ray sus le condus), c’est aussi riposter vertement à une personne qui vous attaque verbalement. Peut-être plus expressif, se redevirer, c’est se rebiffer, se retourner brusquement contre quelqu’un et par extension rebiquer, pour des cheveux. Sans doute à cause de son caractère spontané, avair de la revirey, c’est avoir du répondant et par extension, du savoir-faire.

Mais d’autres préfixes rentrent en jeu.

Par- est bien attesté avec ûne paravire pour une violente gifle. On entend d’ailleurs plus souvent une paravirey dans le même sens. Une autre acception lui est attribuée, celle d’une crise de folie, les sens ayant été retournés, sans doute ? Paravirer, c’est aussi virer brusquement en bateau. Dans la même perspective, se parvirer, c’est faire volte-face. On se parvire devers quelqu’un quand on se retourne contre lui.

Le préfixe pir- s’y attache aussi. Celui-ci décrit la circonscription de l’action autour d’un axe, ce qui correspond très bien à la traduction de pirvire (féminin) par toton. Il est d’ailleurs courant de faire cuire a la pirvire, autrement dit à la broche, car faere la pirvire, c’est retourner continuellement. D’où le verbe pirvirer pour inverser le sens de rotation, et par extension, étourdir, faire tourner la tête. L’individu qui est pirvirae est, au moins turbulent, sinon même carrément cinglé.

Dans ce cas, le préfixe gao- vient le concurrencer et gaovirae traduit aussi l’état d’abrutissement, d’hébétude, d’ahurissement. Chavirer, outre le sens maritime qu’on lui connaît en français, est repris dans le sens de renverser (je l’araes chavirae, je l’aurais jeté à terre), mais aussi de bouleverser (ça le chavire ao pus lein den son qheur).

Ajoutons le préfixe ter- qu’on entend dans tervire, un des noms du vilebrequin, mais aussi dans tervirer pour tourner vite, virevolter (cant il dance, il faet tervirer sa cavaliere).

Envircoêtae, développement de vircoêt, est repris pour entouré. Tournevirer (tourner en tous sens) est une construction binaire formée sur tourner et virer.



à suivre avec les suffixes