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Académie du Gallo


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Les Dossiers linguistiques de l'Académie du Gallo

La Pepineray : "Chien"


CHIEN


     Le latin canis, qui en est à l’origine, va se développer dans deux directions en gallo :

1- chien, chen

    Les seuls dérivés français sont des substantifs.
    Le gallo atteste s’achiener (s’acharner), car le chien symbolise aussi la hargne, l’acharnement. Une personne achieney est opiniatre, tenace. Cet adjectif est plutôt vu en mauvaise part dans la mesure où l’achieneriy (ou chieneriy) représente la méchanceté exercée pendant que la chienetae est plutôt relatif au sentiment intérieur. Celui qui est achienouz est tout simplement méchant. Mais chieneriy peut s’étendre au désagrément qu’on subit.

    Parmi les autres dérivés, on entend aussi chieneriy pour une meute de chiens.
    Son second sens se rapporte à la période de rut des canidés. Chiener, c’est mettre bas pour la chienne. Ses petits, ce sont des chenaods ou des cheniaods (chiots).

    Le chien ne représente pas seulement la haine, mais aussi la condition inférieure, ce qui suscite le mépris.
    Il rentre alors dans nombre de noms composés qui le rappellent : paire-de-chien (poire âcre), prune-de-chien (prunelle pour l’eau-de-vie), pailh-de-chien (jonc de crapaud), game-de-chien (anémone de mer), pis-de-chien (champignon vénéneux), saegne-chien (mauvais couteau), chien d’iao (nuage noir susceptible d’apporter une averse), moùsse de chien (lichen sur les chênes ou les châtaigniers), chien de feu (chenêt), chien-de-batèo (mousse), chien-de-noce (pique-assiette). Enchiener, c’est enduire de boue. Et mener a merde de chien, c’est réduire à néant, faire disparaître.

    Le chien symbolise souvent la lubricité.
    Aussi, chenacer, c’est se débaucher, se livrer à la chenaceriy (débauche). On est alors un chenacier (débauché, coureur de jupons). Avec un suffixe différent, être chenalhouz, c’est se conduire en vicieux.
    Pour revenir vers du concret, la chenaceriy représente aussi le chenil.

    Dans ce dernier paragraphe, on remarque que le yod n’apparaît plus. Il se supprime parfois. D’ailleurs, il ne devrait pas apparaître, mais l’influence du français a dévié le gallo de cette direction depuis longtemps.
    La tendance dans les langues romanes était en effet à l’effacement de ce yod après une palatale (ici, ch-). Le Poitevin traduit d’ailleurs chien par chén ou chae. On peut donc encore entendre chene (chienne), chendent (chiendent), chenet (chiot), cheneriy (meute, méchanceté réalisée), chenetae (malice, méchanceté conçue).

    Le réemploi de chien (ou chiene) existe pour des outils comme par exemple les pinces du tonnelier.
    Dans le domaine de la flore, le qerve-chien répond au français tue-chien, nom populaire du colchique. Et si la pisse-de-chien peut désigner l’églantier, le chien peut représenter le fruit de l’iris.
    Mais plus poétique, le coù de chien évoque un fragment d’arc-en-ciel, lorsque celui-ci n’est que partiellement apparent. Les chiens sont aussi les brins coupés trop hauts ou les touffes négligées par le faucheur.
    Accessoirement, une chiene peut être un orgelet (t’as pissae den la rote de messe, t’as ûne chiene).

    Si on revient vers le rôle du chien, il était le plus souvent chien de touche (ou chien de vache ; chien berger) alors que le pauvre chien de paen n’est qu’un misérable corniaud. Cet animal peut pourtant être vu positivement puisque étr chien, c’est aussi parfois être malin (on n’ét pas pus chien yun qe l’aotr) à cause de son flair sans doute. Pourtant c’est son caractère pataud qui ressort dans l’expression pate-a-chien (chute).

    Les expressions suivantes nous éclairent un peu plus sur la perception qu’on a de l’animal :

2- can-

    Une deuxième série de termes prend pour départ de manière directe le latin canis et développe donc sa dérivation à partir du thème can-. Ce radical s’est affaibli en qen-. Aucune palatalisation ne s’entend depuis celui-ci, ce qui signifie que cet affaiblissement de la voyelle est survenu après l’éclosion de ce phénomène linguistique.

    Cette dérivation est florissante et se démarque sémantiquement, mis à part qeniche (caniche), dont l’étymon est d’ailleurs douteux. Mais elle s’oriente vers la scatologie avec qener (chier, déféquer ; mais aussi enduire d’excréments). La qene désigne ainsi les excréments, le qenouz est celui qui les dépose et se retrouve tout qenae celui qui est souillé d’éclaboussures. Un canouz (sans affaiblissement de la première voyelle) représente un étron.

    D’autres sens reviennent à plus de décence néanmoins. Qenalhe répond au français canaille, mais en meilleure part avec le sens de mioche, gamin (c’étaet lez qenalhes dez fermiers qi portaent a baire den l’aere). Plus péjoratif, on a qenèo (souvent supplanté par son pluriel qeniaos ; il se vit tout qenèo e tout joâçon) un peu comme on dirait en français « mon petit chaton ». On a aussi qenazot avec le même sens. Il est probable que canjon (nouveau-né) se rattache également à cet étymon can- comme dans caniaod (chiot).

    En parallèle au français cagne, qui a également pour étymon le latin canis, on connaît bien sûr cagne, cagner, cagnouz, mais nous avons aussi écaegner (énerver, taquiner, agacer), écaegne (dispute, querelle, altercation), écaegnouz (agaçant), macaegne (de mauvaise humeur & pour une terre, lourde, difficile à travailler). On peut supposer que le préfixe est tiré de mal-.

    En outre, le gallo a développé une série sémantique qui lui est propre sur le thème de la fatigue, de l’accablement.
    L’adjectif aqenae (variante : éqenae ; fatigué, éreinté) est fréquemment entendu. Aqeni (abattu, accablé) est aussi attesté par Georges Vivant (t’as l’aer tout aqeni). Bien sûr, éqener, c’est éreinter, fatiguer. Il faut sans doute y rattacher canae (exténué, à bout de souffle, vanné, ivre).

    Le thème de la méchanceté n’est pas oublié non plus avec cani (cruel, méchant, violent, terrible).
    Les actes commis dans cet état d’esprit relèvent de la canisseriy (cruauté, méchanceté réalisée). Il semble cependant que la dérivation dans un sens premier ait été moindre autour de ce radical, puisque, à part canil (chenil), il ne produit pas de dérivés relatifs à l’animal en lui-même.

    Le chien n’est pas que méchant, il peut aussi susciter de la compassion.
    C’est ce qu’on découvre quand il va se coucher confortablement, quand il va se canilher.
    Le sens s’étend alors à l’être humain qui s’acanilhe (reste au coin du feu ou dans son lit, devient casanier). Acanilher, c’est aussi dorloter, chouchouter, choyer. Bien entendu, cet état ne peut durer et l’individu trop acanilhae (casanier, pantouflard) se voit contraint de décanilher (décamper).

3- cun-

    Un deuxième étymon rentre en jeu, celui autour de cun.
    Il est à rapprocher du breton vannetais kon (chiens) qui a été supplanté en breton moderne par chas et d’ailleurs son singulier reste ki. Celui-ci est vraisemblablement celtique, plus probablement continental (gaulois).

    Il forme des dérivés qui se rattachent à la lubricité.
    Car, si le cun désigne le chien, le cabot, et le cunet, le chiot, le cunaod évoque un chien en rut et par extension, un coureur de jupons. Celui-ci est cunier ou plus fréquemment cunacier (lubrique, salace, dépravé). On peut donc penser que la cunaceriy traduit la lubricité, la salacité.
    En marge de ce registre, cuney traduit l‘excès d’alcool, la cuite.

    Il est assez singulier de constater que la palatalisation n’a pas cours avec cet étymon, ou alors de manière très épisodique, ce qui renforce l’idée d’une origine celtique.

    Enfin, à quel étymon rattacher chutèo (chiot ; pl chutiaos) ? L’hypothèse d’un croisement entre plusieurs d’entre eux n’est pas à écarter.